literature

Non, et c'est...

Deviation Actions

melyonen's avatar
By
Published:
173 Views

Literature Text

Je ne veux pas…
Une bouteille de cidre se penche sur mon verre, et je souris, l’air un peu désolé -ou simplement amusé-, en fixant dans les yeux la personne qui me propose de l’alcool.
« Très peu pour moi, mais merci quand même. »
Merci ?
Ce remerciement était pour cette attention à l’apparence anodine, pas pour la boisson.
Pour ceux qui ont eu la chance de ne pas me rencontrer, ni de me proposer à boire, il faut savoir que je ne supporte ni les boissons gazeuses, ni les boissons alcoolisées. Pour les boissons gazeuses, c’est simplement une question de goût. Je ne supporte pas non plus les betteraves, et c’est au même titre. Si quelqu’un en boit –ou en mange, pour les betteraves ce sera plus simple-.
Cependant, l’alcool me donne un sentiment de profond dégoût. Rien de plus ni de moins. Il faut savoir qu’après tout, mon court passé est chargé d’une guerre contre ce goût.

Je ne sais plus quand cela a commencé. J’ai des images, parfois, de mon père criant sans raison, sur mon frère ou ma mère. Jamais sur moi. J’avais simplement peur, et je trouvais toujours le moyen de me cacher sous mes draps. Je suis une jeune fille petite, fine, et j’ai toujours possédé cette carrure discrète. Je n’ai jamais cherché à être plus visible, du moment que je ne sombre pas dans l’invisible, tout va bien.
Le monde était absurde, il n’a pas changé, et je pense être suffisamment blessée, suffisamment expérimentée dans ce silence pesant qui m’a rendue sourde, pour rester absurde jusqu’au bout. Ne jamais faire de bruit, toujours se cacher, passer loin, disparaître tout en étant présente, par un geste, un mot, un écrit. Si mon père était victime de l’alcool, je crois que le monde dans lequel je vivais en était imprégné, et que je voyais ces effluves devant moi, tout autour, pour me faire croire que le réel ne pouvait et ne devait pas exister.
J’ai appris à lire, et j’ai tenté d’oublier ma maison, les miens. Je voulais écrire, mais je ne me sentais pas prête. Alors que le couple parental s’effritait, entre alcools, cris et coups, je m’enfermais dans ma chambre avec un livre, tentant de déchiffrer les écritures.
Une fois la langue française apprivoisée, je voulais lire le plus possible de livres. C’était dans la recherche d’un recueil de mots que je vis mon pire ennemi. Il était tard, certes, et dans le salon, un amas de bouteilles gisaient autour de celui que j’appelais « Papa. » De la peur ? Non. De l’incompréhension ? Oui.
Je lisais toutes les étiquettes qui m’étaient visibles dans la pénombre. Un mot, un autre, des tas de choses que je ne connaissais pas. Vin, bière, whisky, et j’en passe.
Mon père avait l’air détruit. Lui qui faisait de la boxe, qui était chef bûcheron, il avait le regard d’un mort. Pourtant, il avançait vers moi, il me fixait avec un air dur.
« Qui es-tu ? »
Oublier sa fille. A cette époque, je pensais à une blague. Un pas, un autre, je m’approchais, en l’appelant par ce petit nom affectif qu’utilisent les enfants. Et me voilà dans la voiture, quelques minutes plus tard, avec a promesse qu’il me montre la nuit.
Il avait une drôle d’odeur. Quelque chose que je n’aimais pas. Qui me répugnait tout simplement. Je le laissais conduire, tout de même, docile pour éviter ses colères.
La conduite de mon père, en temps normal, a de quoi détruire une poignée de règles du code de la route en quelques mètres. A ceci près que mon père n’était que très rarement dans un état normal.
Une heure du matin.
Il devait être une heure du matin, quand la voiture fut encastrée dans une autre. Je m’en sortais bien, après tout : un œil au beurre noir, et seuls ma bouche et mon menton étaient en sang. Je pleurais, cependant, avec des larmes d’incompréhension. Je lui avais dit de ralentir, de faire attention, il ne m’avait pas entendu. Il riait.

Un an plus tard, environ.
Parents divorcés, mais je haïssais fondamentalement ma belle-mère. A vrai dire, si ma mère quittait peu à peu les habitudes liées à l’alcool qu’elle avait connues durant des années de mariages, ma belle-mère se plongeait dans la débauche.
Mon père était là, chez mes grands-parents maternels, pour m’emmener chez lui durant le week-end. De ma petite voix enfantine, qui contait déjà des histoires pour ses camarades de classe, je lui répondis :
« Je ne veux pas, tu as bu. »
Mon premier « non. » La première fois que je manquais de respect à mon père. Petite jouissance personnelle méritée.
Mon père se baissait jusqu’à moi, puis m’asséna une claque qui me fit tomber contre le carrelage. Deux points de suture sous le menton.
Et ce rire gras aux effluves maléfiques.

Quatre ans plus tard.
Une fête parmi tant d’autres tonnait chez mon père. Je descendais les escaliers de la maison si grande, si vide, pour arriver dans la salle où les gens riaient, jouaient, hurlaient sous les battements de cœurs musicaux.
L’odeur me dérangeait. Je développais depuis des années un dégoût olfactif pour l’alcool, ce qui me fit rapidement déterminer que la source n’était pas ce rival formé de bouteilles innombrables et diverses. Je m’approchais du géniteur, aux yeux morts de breuvages maudits et à la peau pâle.
« J’aime pas l’odeur. »
Il me sourit d’un air glauque.
« Drogue et alcool sont les meilleurs composants d’une fête, ma fille, tu comprendras rapidement. »
Drogue ?
Mon père était-il un enfant ? Un adolescent pré-pubère ?
Je posais mon regard sur sa nouvelle compagne. Si elle pouvait se déplacer nue, elle, elle le ferait, croyez-moi. Le type même de la fille sans esprit, qui rit pour un rien, qui se moque de tout le monde, un verre d’alcool fort à la main, et qui montre sa poitrine avec un décolleté qui ne pourrait pas être plus plongeant.
« Je hais ton objet sexuel, géniteur. »
Pas de réponse de sa part, comme s’il ne m’entendait plus, comme si mes mots avaient autant de poids qu’une plume. Pourquoi ne se rendait-il pas compte qu’une plume pouvait être belle ?
Les poings serrés, je baissais la tête, puis me faufilais entre les personnes présentes, qui s’exclamaient :
« C’est la fille de Louis-Marie ! »
Crevez, tous, je ne suis pas la fille d’un alcoolique, je suis autre chose !
Pourquoi ce rire angoissant me suivait-il ?

Il n’y aura pas de fin. Seulement un soupir. Je ne veux pas être sa fille, je ne veux pas sombrer dans les mêmes vices que lui.
Je n’ai pas beaucoup d’honneur, pas beaucoup de fierté. Juste celle de refuser l’alcool. De refuser que ce rire immonde prenne place en mon corps… Et puis il y a cette peur, celle que l’un de me proches, dans ma famille ou dans mes amis, finisse dans ce coin assombri… J’aimerais tant avoir le courage de dire « non, ne le bois pas… »
… Et j’aimerais tant que la personne à qui je le dis comprenne pourquoi ces mots…

Par pitié, faites taire ce rire infernal...
(in French)

Le titre entier est : Non, et c'est une question d'honneur...

Et euh... Bah, bonne chance pour lire.

C'est un peu long, mais ça me touche beaucoup.

... Histoire de comprendre ce que je pense de l'alcool.
© 2006 - 2024 melyonen
Comments4
Join the community to add your comment. Already a deviant? Log In
ogreg's avatar
impressionné.... :O
Tu escris super bien.
mes respects :)
greg